Les bornes chronologiques, un réel défi

 

Comment sont définies les bornes chronologiques ? 

Quand on parle d’Histoire, c’est généralement à travers des évènements plus ou moins importants qui ont, à leur échelle, contribuer à façonner celle qu’on appelle la grande Histoire (qui s’oppose à la « petite histoire », c’est-à-dire à hauteur des individus particuliers). Certains de ces évènements ont même été tellement décisifs dans l’évolution des civilisations qu’ils ont été pris comme marqueurs temporelles, devenant synonymes d’un changement d’époque. On appelle alors ces dates des bornes chronologiques. Mais nous allons voir que celles-ci, bien qu’elles soient pratiques pour découper l’Histoire en périodes plus courtes, ont leurs inconvénients.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il paraît peut-être idiot mais néanmoins nécessaire de rappeler les différentes périodes avec les datations les plus communément admises :

Période

Date de début et évènement

Date de fin et évènement

Antiquité

3500 av.J-C : invention/développement de l’écriture

476 ap.J-C : Chute de l’Empire romain d’occident

Moyen-âge

476 ap.J-C

1453/1492 : la première date correspond à la chute de Constantinople, la seconde à la Découverte des Amériques par Christophe Colomb

Temps Modernes

1453/1492

1789 : Révolution Française

Epoque Contemporaine

1789

Aujourd’hui

 

Allez, je vous emmène.

 

 

Le principal souci des bornes chronologiques, c’est que, volontairement ou non, elles supposent une rupture dans le temps. Pour autant, il apparaît logique quand on y pense que les romains ne se sont pas dit, le 31 décembre 475 : « Allez les gars, à minuit, on change d’époque ! »

La grande Histoire est à visualiser plus comme une continuité générale qu’une succession de coupures, et ce problème explique les débats toujours en cours concernant les dates précises des différentes périodes. Poser des limitations telles que les bornes chronologiques est dans une certaine mesure arbitraire, puisque cela crée une forme de hiérarchie dans les évènements historiques (ceux ayant marqué une rupture contre ceux n’ayant pas été pris en compte) qu’ils n’ont pas forcément au départ.

Les bornes chronologiques ont aussi comme défaut d’unifier temporellement toutes les aires géographiques. Je m’explique. La date de 476 ap. J-C, la plus souvent évoquée pour marquer la fin de l’Antiquité et le début du Moyen-âge, correspond à la chute de l’Empire romain d’occident (territoire englobant l’Europe occidentale actuelle à son apogée). Or, l’Empire romain d’orient, ne connaîtra le même sort qu’en 1453, soit près de 1000 ans plus tard ! On note ici un problème évident, puisque d’après la datation traditionnelle, l’Empire romain d’orient n’a ainsi pas connu de Moyen-âge, ce qui est faux. La Renaissance, qui n’est certes pas une grande période historique, connaît aussi des datations fluctuantes : le début est généralement placé vers 1450, date de la première grande Renaissance italienne. Néanmoins, des artistes fondamentaux sans lesquels cette renaissance n’aurait pas pu avoir lieu, comme Giotto di Bondone ou Duccio di Buoninsegna, ont réalisé la majorité de leurs travaux au XIIIème siècle, soit bien avant cette date. Le souci avec la Renaissance, c’est qu’elle n’est pas considérée comme une période historique comme peuvent l’être le Moyen-âge ou les Temps modernes. Loin de moi l’idée d’affirmer qu’elle devrait bénéficier de ce statut, mais le fait est que cela complique encore plus le système de datation.

De plus, on l’évoquait précédemment, poser des limites aux différentes époques sous-entend dans un certain sens que lesdites époques sont constantes et ne connaissent que peu de changements, jusqu’à ce qu’un évènement majeur vienne y mettre fin. Or chaque époque a été le théâtre d’innovations/évolutions plus ou moins nombreuses et  bien souvent cruciales, que ce soit dans le monde de l’Art ou non d’ailleurs. Prenons deux exemples : l’invention de la peinture à l’huile, si tant est que l’on puisse appeler ça une invention, a lieu sans doute vers la fin du XVème siècle dans les Flandres, puis se développera au siècle suivant en Italie avec pour porte-étendard des artistes comme, excusez du peu, Léonard de Vinci. Cette innovation, qui marquera à jamais le monde de l’Art, ne se traduit pour autant pas par un changement de période. Deuxième exemple, qui va non seulement représenter une avancée incroyable pour le monde de l’Art, mais en plus on l’utilise encore tous les jours ou presque : je parle bien sûr de l’imprimerie. Développée sous une forme relativement basique dès le IIème siècle ap. J-C en Chine, cette dernière sera reprise et standardisée par Gutenberg vers le milieu du XVème siècle. Sans parler du fait admirable que les Chinois avaient, et ce n’est pas une première, plus de 1200 ans d’avance sur l’occident d’un point de vue technologique, l’imprimerie n’est ici pas non plus considérée comme un évènement marquant une nouvelle ère, alors que c’est pourtant le cas. Auparavant, le seul moyen de diffuser des ouvrages étaient la copie par des moines copistes (on en reparlera sans doute dans un article ultérieur plus en détail) et les voyages entre régions/pays des moines et des livres. L’imprimerie a ainsi permis une multiplication des ouvrages et une diffusion largement accélérée.

Gravure du frontispice de l’ouvrage Nova Reperta (« Nouveaux Repères »), compilation de gravures réalisées par l’artiste Jan Van Straat vers 1600 © Wikimedia Commons. La gravure représente un changement d’époque, la figure de droite sortant du cadre et la figure de gauche y entrant. Cette dernière pointe de sa baguette une carte représentant les nouvellement découvertes Amériques. On comprend dès lors que l’on a affaire au passage entre le Moyen-âge (à droite) et les Temps Modernes (à gauche).


Résumé du développement :

Les limites des différentes périodes sont régulièrement remises en question, les historiens argumentant pour ou contre la pertinence d’utiliser tel ou tel évènement comme marqueur temporel. Les bornes chronologiques sont à voir comme un outil de théorisation permettant une appréhension facile de l’Histoire. Il est évident que ces limites n’ont été instaurées que récemment, et qu’elles ne l’ont jamais été sur le moment-même. Bien qu’il apparaisse plus simple de séparer le temps en périodes clairement identifiables, il faut néanmoins rester prudent. A vouloir trop simplifier, on finit parfois par altérer.

Merci d'être resté(e) jusqu'à la fin,

On se retrouve dans le prochain article (j'espère) !

 

Il était une fois...l'Art

 

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