Les commanditaires à la Renaissance italienne
Être puissant et le montrer à la
Renaissance
Dans
ce long article, nous allons nous intéresser à un sujet important à la
Renaissance italienne, qui va très fortement influencer (si ce n’est
complètement diriger) la production artistique dans son ensemble : les commanditaires.
Ou « petit guide du puissant souhaitant afficher son pouvoir à la
Renaissance ».
Allez,
je vous emmène.
Précision
de préambule : nous allons ici nous intéresser uniquement à la Renaissance
en Italie. Bien que celle-ci se soit développée dans toute l’Europe, évoquer la
totalité des pays concernés seraient d’une part fastidieux, de l’autre peu
pertinent car les différents royaumes se sont généralement appuyés sur la
Renaissance italienne pour développer la leur, donc cela reviendrait à se
répéter. Considérer l’Italie comme un « cas d’école » en l’occurrence
ne paraît pas complètement dénué de sens.
Avant
d’entrer dans le vif du sujet, petit retour sur l’Histoire de l’Italie et de sa
situation politique à l’époque :
Jusqu’au
XIXème siècle, le pays est constitué de plusieurs royaumes séparés politiquement,
avec dirigeants, monnaie, armées et institutions différenciés. Ces différents
royaumes correspondent aux grandes régions d’Italie que sont la Toscane, la
Modène, la Parme, les Deux-Siciles, le Piémont-Sardaigne, mais également aux
Etats pontificaux. A noter que le nord du pays, c’est-à-dire la Lombardie et la
Vénétie, sera occupé au XIXème siècle par l’Autriche. Ce n’est que vers 1870
que le pays s’unifiera et prendra comme capitale unique Rome.
Donc
à la Renaissance, l’Italie est toujours un territoire divisé, et les
différentes villes et/ou régions sont dirigées par des familles. Par exemple,
la ville de Florence est aux mains des Médicis, et leurs opposants directs à ce
titre sont les Pazzi. A Rome, c’est la famille Farnèse qui dirige. A Milan, de
nombreuses familles se partagent le territoire : les Visconti, les Sforza
(originaires d’Espagne) ou encore les Borghèse. Toutes ces maisons doivent donc
mener une guerre de pouvoir contre leurs opposants, intérieurs comme extérieurs
(parce que oui, si ce n’était pas déjà assez compliqué comme ça, les
différentes villes sont en concurrence entre elles). Elles se doivent alors
d’exposer leur puissance, d’un côté en affichant leur richesse, de l’autre en
inspirant la crainte.
Ce fonctionnement et cet équilibre entre faste et crainte se retrouvera dans plus ou moins tous les programmes architecturaux, avec selon les cas le curseur tourné plutôt vers le faste ou la crainte. Commençons avec l’exemple des palais florentins : ces derniers, demeures principales des grandes familles, proposent une architecture et un agencement régulier que l’on retrouve d’un palais à l’autre. Ils sont massifs, de plan généralement carré et centré, ou en tout cas organisé autour d’une cour centrale ouverte. La façade est austère, avec trois niveaux d’élévations au maximum, et une recherche de rythme et de symétrie accentués par la régularité des baies. Certains optent même, à l’image du palais Medici-Riccardi de Florence, pour un bossage fort au niveau du soubassement.
Façade du Palazzo Medici-Riccardi à Florence, réalisé entre 1444 et 1459 par l’architecte Michelozzo (1396-1472) © Blogostelle
Vue latérale du Palazzo Medici-Riccardi, permettant d’apprécier le jeu d’ombres crée par le bossage du soubassement. © Wikimedia Commons
Façade
du palais Farnèse à Rome, réalisé entre 1515 et 1589 par les architectes
Giacomo della Porta, Antonio da Sangallo, Michel-Ange et Vignole © Le Sommeil
d’Endymion
Il
est intéressant de noter que l’allure générale de ces palais n’est pas sans
rappeler la forme des coffres-forts. Et justement, cela n’a rien d’un hasard,
car le palais renfermait réellement le trésor de la famille correspondante et,
d’une manière plus métaphorique, la famille elle-même. Sans forcément aller
jusqu’à dire que les familles de la Renaissance se prenaient pour des bijoux,
il est évident que les palais, par leur silhouette, devaient paraître
inviolables et inspirer la crainte chez tout un chacun, comme si une pancarte à
l’entrée indiquait : « voleur, tu entres ici à tes risques et
périls ».
Quand
on parle de puissants affichant la leur, de puissance, on ne peut pas ne pas
évoquer les quartiers papaux au Vatican. A la Renaissance, qui de plus
important que le pape ? Bien peu de personnalités sauront se hisser à la
hauteur du chef de file de la religion chrétienne en termes de faste et
d’importance pour la commande artistique, et notamment architecturale. Au tout
début du XVIème siècle, vers 1502-1503, le pape Jules II lance un immense
projet : la « renovatio urbis », c’est-à-dire la
rénovation/renaissance de la ville, ici de Rome. Ce grand plan visant à
améliorer l’urbanisme de la ville va passer par la destruction de l’ancienne
basilique Saint Pierre (construite en 326) pour la remplacer par le bâtiment
que l’on connaît aujourd’hui (plus ou moins), tout de marbre et d’or vêtu.
Cette rénovation passe également par un retravail de tout le quartier du
Vatican, le développement de la cour du Belvédère et la création des quartiers
d’habitation du pape en tant que tels, aujourd’hui abritant le musée du
Vatican.
Plan
de la cour du Belvédère (« belle vue » en italien) tel que
l’architecte Donato Bramante (1444-1514) l’imaginait, vers 1502-1503. ©
Wikimedia Commons La cour ne suivra cependant jamais le plan initial et est
aujourd’hui séparée en trois cours distinctes, car le projet était tellement
onéreux que même le pape (et ce n’est pas peu dire) ne pouvait se le permettre.
A
présent, il me paraît important de renouer avec la commande privée en évoquant
deux particuliers, qui, bien que non issus de hautes familles de la
Renaissance, auront su se hisser au sommet de la hiérarchie sociale, et ne se
priveront pas de le montrer : le cas de Federico da Montefeltro
(1422-1482) et le cas d’Agostino Chigi (1466-1520).
Commençons par Federico da
Montefeltro. Ce dernier, d’abord chef militaire, connaîtra une carrière
politique importante et deviendra le duc de la ville d’Urbino. Située dans la
région des Marches, c’est-à-dire aux frontières nord de l’Italie, cette ville
fut un centre aussi important de la Renaissance que pouvaient l’être Florence
ou Rome (l’architecte Donato Bramante est d’origine urbinate). Pour asseoir son
pouvoir, le duc fait construire au cœur de la ville le palais ducal entre 1468
et 1482. Ce dernier, demeure du seigneur, surplombe très largement la cité et
ses alentours.
Vue permettant
d’apprécier le palais d’Urbino, surplombant largement la ville. Cette
monumentalité est également due à l’élévation relativement limitée des
bâtiments alentours. © GetYourGuide
Autre point intéressant à noter : à l’intérieur même du palais, le duc da Montefeltro s’est fait construire entre 1472 et 1476 un studiolo (petite pièce privée dans laquelle les humanistes travaillent, mais reçoivent également leurs visiteurs importants et leurs amis), qui traduit parfaitement sa double position de chef militaire et d’homme lettré, proche des humanistes. Entièrement décoré de marqueteries et de portraits de personnalités phares de son temps, il présente de manière claire la culture érudite de son propriétaire et son goût prononcé pour l’art. En effet, au-delà de sa carrière militaire et de sa pensée humaniste, Montefeltro fut un important mécène, entretenant dans sa cour des artistes comme Piero della Francesca, qui lui dédiera plusieurs œuvres, dont la Pala Montefeltre, réalisée en 1472.
La décoration du studiolo se
compose, dans la partie haute, de deux registres de portraits grands penseurs
laïcs et de personnalités religieuses. Dans sa partie basse, le studiolo
présente un important travail de marqueterie mêlant portraits religieux
(Ambroise, Augustin, etc), portraits de penseurs (Dante, Pétrarque),
objets en trompe-l’œil (instruments de musique, mobilier) et jeux de
perspectives (évocation sur la paroi nord d’un panorama).
Piero della Francesca,
Pala Montefeltre, 1472 © Wikimedia Commons.
Federico da Montefeltro est représenté dans cette toile en position assise de prière,
de strict profil.
Photographie de l’intérieur du studiolo du palais ducal d’Urbino, permettant d’apprécier le travail de marqueterie © Pinterest
Notre deuxième exemple de
personnalité est Agostino Chigi. Né à Sienne en 1466, ce banquier et mécène
connaîtra une carrière fulgurante, puisqu’il est chargé de la gestion des fonds
du Vatican dès l’âge de 20 ans. Il s’enrichira grâce à cette activité et au
commerce d’alun, un minerai rare indispensable pour confectionner la teinture
des textiles. Ces deux activités feront d’Agostino Chigi non seulement un
commerçant extrêmement pourvu, mais en plus très puissant : il possède sa
propre flotte de guerre et deviendra le créancier non seulement du pape, mais
aussi de dirigeants européens comme Catherine de Suède ou encore Charles VIII,
ainsi que des membres de familles puissantes (Pierre de Médicis ou Guidobaldo
da Montefeltro, fils de Federico). En 1504, le marchand achète un terrain dans
la banlieue proche de Rome et y fait construire sa demeure : la Villa
Farnesina. Cette dernière sera dès sa création reconnue comme un chef-d’œuvre
architectural, mais également pictural puisqu’elle était à l’origine couverte
de fresques, à l’intérieur comme à l’extérieur. Ces dernières seront réalisées
par de grands noms de la Renaissance, comme Raphaël (dont Chigi était le
mécène) ou Le Sodoma.
Façade de la Villa
Farnesina, conçue et réalisée par Baldassare Peruzzi (1481-1537)
©
Wikimedia Commons
Photographie de la « loggia de Psyché » dans la Villa Farnesina, permettant d’apprécier le travail pictural de Raphaël © Walksinsiderome
Enfin, pour achever notre périple, évoquons rapidement un élément déjà mentionné plus haut mais qui mérite d’être néanmoins développé : les commandes de l’Eglise. Eh oui, car c’est bien de parler du pape et de ses appartements personnels, mais l’Eglise en tant qu’entité reste le commanditaire numéro un d’œuvres, picturales comme architecturales. Pour autant, il est important de savoir qu’à la Renaissance, l’Eglise est sur le déclin. Une longue perte d’autorité entamée vers le milieu de l’époque médiévale et qui se poursuit durant la Renaissance. Elle n’en est pas pour autant devenue secondaire, bien au contraire, mais les critiques à son égard, provenant notamment des cercles humanistes et portées par d’importantes figures comme Laurent « le magnifique » de Médicis, ont fait perdre à l’Eglise le pouvoir absolu et incontesté qu’elle pouvait avoir durant le haut Moyen-âge. A suivre, quelques exemples d’églises importantes à la Renaissance et de productions artistiques.
Vue
aérienne de l’Eglise Santa Croce de Florence, réalisée en partie par Arnolfo di
Cambio (le chantier s’étale entre le XIIème et le XVème siècle)
©
Florence Italie
Façade de l’église Santa Maria Novella de Florence, réalisée par Leon Battista Alberti et Giorgio Vasari notamment (chantier entre le XIIIème et le XVIème siècle) © Wikimedia Commons
Vue
de la basilique Santa Maria del Fiore de Florence, entamée en 1296 et achevée
en 1457 par la pose du dôme monumental par Filippo Brunelleschi
© Kaitencompagnie
Façade de l’église du
Gesù à Rome, réalisée entre 1568 et 1584 par… hum hum…Michel-Ange
© Dream Grand
Tour
Masaccio,
La Sainte Trinité, 1425-1428, fresque peinte dans l’église Santa Maria Novella © Wikimedia
Commons
Intérieur de la chapelle Sixtine, rattachée à Saint Pierre de Rome, fresques peintes par Michel-Ange entre 1536 et 1541 © Destination Rome
Résumé
du développement :
Bon,
ça en fait du monde tout ça ! Ce qu’il faut retenir, c’est que, à la
Renaissance plus que jamais, les liens entre les artistes et les puissants
étaient fondamentaux, et il apparaît crucial de comprendre et d’appréhender le
statut des commanditaires pour expliquer la production artistique dans l’Italie
de la Renaissance. Qu’il s’agisse des
grandes familles des différentes villes et de leurs palais, ou des papes et le
Vatican, en passant par les fortes personnalités « atypiques » de
l’époque, sans oublier la tenace et immanquable Eglise, la grille des
commanditaires est sans doute plus large que ce que l’on peut imaginer, et ils
ont tous eu leur rôle à jouer dans la création de cet immense patrimoine
artistique qu’est devenue la Renaissance.
Dans
cet article encore, c’est vrai, je me suis concentré uniquement sur une aire
géographique restreinte. Mais là encore, l’Italie représentant à elle seule une
étude tellement riche et complexe, et un environnement artistique dépendant de
nombreux facteurs que vouloir survoler la totalité de l’Europe reviendrait à
vouloir écrire un livre. A bon entendeur.
Merci d'être resté(e) jusqu'à la fin de ce
pavé qui je l’espère vous aura plu,
On se retrouve dans le prochain article (si
ça vous dit) !
Il était une fois...l'Art
P.S : si l’histoire de l’Italie vous intéresse, je recommande le site « L’Histoire », qui m’a servi pour mes recherches. https://www.lhistoire.fr/carte/naissance-du-royaume-d%E2%80%99italie-1860-1871
super ce blog
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